Au pied du mur, l’humain a bien de nombreuses ressources pour innover. Face à la famine et la perte de diversité, l’homme peut se tourner vers celle qui reste autour de lui et la multiplier lui-même. C’est dans ces circonstances qu’un petit village en Inde centrale, a été sauvé d’une terrible sécheresse.
Famine à Bidakkane
En 1980, le village de Bidakkane vit l’absence de mousson, et les fermiers perdent entièrement leur récolte. Privés de leurs semences traditionnelles, la famine s’installe pendant cinq longues années. Les villageois ne survivent que par les sacs de riz hybride envoyés ponctuellement par le gouvernement indien. Malheureusement ces variétés provoquent des allergies et sont notamment mal digérées par les enfants. La population se sent complètement démunie et assistée.
Il faut attendre la venue de la DDS, la Deccan Development Society (une ONG indienne) en 1985, pour encourager l’émergence d’un renouveau dans la région. Au départ, les villageois sont rassemblés par l’ONG afin qu’ils définissent leurs besoins. Seuls les hommes se présentent aux réunions mais ils ne sont focalisés que sur le court-terme et le besoin d’argent. La DDS encourage les femmes à s’exprimer également. Très vite, une idée émerge : il faut retrouver l’autonomie alimentaire !
Prêt de semences par Chandramma Moligeri
Une paysanne Chandramma Moligeri, de la basse caste, demande à des fermiers de sa famille de lui prêter des semences traditionnelles. Elle leur promet qu’à la future récolte elle leur rendra la quantité de semences prêtée. En plus de cette idée ingénieuse, les femmes s’organisent pour réaliser un bilan du nombre de terres disponibles dans la région (pauvres, laissées à l’abandon) et démocratiquement elles décident de partager équitablement ces parcelles. Les basses castes reçoivent la même surface que les hautes castes. Une fois les terres réparties, les fermiers de la région prêtent leurs semences avec le même principe. Toute la collectivité s’attelle dès lors à cultiver 1000 hectares de friches. Le principe de banque de semences est créé où l’on prête et on rend 1.5 à 2 fois la quantité de départ.
Grâce à cet incroyable élan collectif incluant le prêt de semences et notamment à l’utilisation de variétés traditionnelles nécessitant très peu d’eau, le district restaure complètement son autosuffisance alimentaire. Les surplus sont vendus dans les marchés bios d’Hyderabad (la capitale de l’Etat de Télangana). La prospérité de la région s’est également construite sur la diversité des variétés locales de légumes, des céréales (dont le millet) et également de fruits. Ainsi, Des milliers d’arbres ont été plantés et intégrés à l’agriculture de la région. Ce modèle s’étend aux autres régions d’Inde.
Prêt de semences dans le monde
La vie de Chandramma s’est radicalement améliorée. Elle a pu acquérir 10 ha de terres, une nouvelle maison et un restaurant. Elle a notamment partagé son expérience au Sri Lanka, au Bangladesh, en Allemagne, au Canada et un peu partout dans le monde. La DDS a pu former des millions de fermiers sur ce modèle également. Ainsi cette idée de prêt de semences où l’on rend plus que ce qu’on la reçu a vu le jour notamment au canada dans les grainothèques de Victoriaville, Toronto, Montréal, Matane,… Il est difficile de répertorier l’ensemble des cas à travers le monde. Néanmoins, il est sûr que le phénomène a pris de l’ampleur probablement à cause de la baisse de diversité, de l’accentuation des catastrophes climatiques et l’appropriation du vivant par les grands groupes semenciers.
Conclusion à propos du prêt de semences
Cette histoire inspirante découverte dans le livre « Un million de révolutions tranquilles » (livre qui a inspiré le film Demain et que je vous recommande vivement), souligne le potentiel énorme de la semence. Contrairement à la banque classique, les Seed banks donnent l’avantage au souscripteur de pouvoir rendre en nature la quantité prêtée. La semence a l’avantage de se multiplier en général par un facteur largement supérieur à dix si la culture est bien conduite. Ces banques permettent l’échange local de variétés adaptées au terrain et au climat. La diversité locale s’enrichit. Par le principe de rendre plus que ce que l’on a reçu, la banque de semences croit potentiellement sa réserve. Ceci devrait nous inspirer lors de la création de nouvelles grainothèques : le don de graines est génial mais parfois insuffisant pour permettre leur développement. Il faut encourager chacun à rendre plus que ce que nous avons reçu. Si nous souhaitons continuer à profiter d’un patrimoine vital tel que la semence, nous devons également d’encourager sa multiplication et son partage pour la collectivité.
Bibliographie
MANIER B. 2012. Un million de révolutions tranquilles. Editions Les Liens qui libèrent, Paris, France, 326 p.